samedi 11 avril 2015

Recettes pour un dimanche - 4 [nouvelle série]



UN COQ AU VIN

C'EST une vieille, très vieille formule française, sans doute un plat bourguignon.

On l'intitule : « Le Coq au vin à la façon de Maistre Bertrand ».

Qui était ce Maistre Bertrand ? Nous ne le saurons jamais. Aussi, pour perpétuer son souvenir, tout en dégustant le coq au vin, levons notre verre et buvons une topette de Chambertin à sa mémoire.

J'ai prononcé le mot de Chambertin et le répète. Car pour faire un coq au vin, il faut un coq et du vin, mais ce vin doit être le meilleur de votre cave. Ce doit être un vieux bourgogne, ou du moins deux vieux bourgognes. Une bouteille pour le coq et la seconde pour vous, pour verser dans votre verre.

Ayez donc les ingrédients suivants :

Un jeune coq dodu, de belle race - Beurre 100 grs - Lard fumé 80 grs - Champignons 150 grs
Oignons 250 grs - Farine 15 grs - Armagnac 1 bon petit verre - Thym, basilic, etc...

Découpez le coq en tronçons. Épluchez et coupez les oignons. Prenez une cocotte de terre ou une sauteuse de cuivre étamée. Posez, dans le fond, 60 grs de beurre. Laissez-le fondre, puis fumer légèrement. Disposez alors, les uns à côté des autres, les morceaux de poulet et le lard coupé en gros dés.

Baissez un peu le feu. Laissez la viande se colorer franchement. Retournez les morceaux et laissez-les prendre couleur sur l'autre face. Le lard fond pendant ce temps.

Ajoutez alors les oignons. Poussez le feu. Laissez évaporer l'eau de végétation. Les oignons commencent à se colorer légèrement.

Salez très discrètement et poivrez un peu.

Versez alors dans la cocotte le contenu d'une des deux bouteilles. Faites un grand feu. Établissez une ébullition tumultueuse. Ajoutez les champignons coupés en lamelles, le thym, le basilic et toutes les herbes parfumées que vous possédez et affectionnez. Cependant, évitez le laurier, qui se marie mal avec la chair délicate du poulet.

Le liquide bout. Goûtez. C'est assez mauvais. Ce vin chauffé et non cuit a une saveur désagréable. Ne soyez pas déçu... le poulet est loin d'être cuit. Il a besoin de quarante minutes de cuisson.

Pendant que vous passez par tous ces états d'âme, le vin réduit. Il s'est, du reste, tellement évaporé que vous craignez de voir votre sauce trop peu abondante.

Aussi vous conseillerai-je de couvrir le récipient. Baissez le feu. Après une demi-heure, explorez les chairs avec une fourchette. Elles sont presque à point. Chauffez encore cinq minutes ; puis ajoutez l'armagnac. Mélangez. Goûtez ; c'est mauvais. Chauffez cinq minutes. Goûtez ; c'est exquis. Éloignez du feu.

Dans un bol, maniez à la fourchette le reste du beurre avec la farine. Ajoutez, morceau par morceau, ce beurre « manié », en le laissant fondre et lier la sauce ; mélangez sans cesse, bien entendu.

Tout le beurre étant employé, reportez le récipient sur le feu. Laissez bouillir une seconde seulement. Enlevez du feu et portez à table la cocotte ou la sauteuse.

Dégustez le coq, sa sauce, et la bouteille, sœur de celle qui a servi à faire cuire le volatile.


UN GOULACHE DE
QUEUE DE BŒUF

LE goulache est un plat hongrois ; c'est même un plat national.

Mais il y a goulaches et goulaches. Car tout est goulache en Hongrie, pourvu que ce soit une viande en sauce contenant beaucoup d'oignons et beaucoup de poivre rouge appelé paprika.

La paprika ne doit pas être confondue avec le poivre de Cayenne.

Ce dernier est un feu incendiaire. Au contraire la paprika présente toute une gamme de parfums plus ou moins brûlants au palais. Il y a des paprikas douces, des paprikas moyennes et des paprikas fortes.
Elles ne sont jamais aussi fortes, cependant, que le poivre de Cayenne. Malheureusement, les Hongrois n'exportent pas en France toutes leurs paprikas Ils n'expédient que les paprikas moyennes.

Aussi, je vous conseille d'avoir chez vous : 1° de la paprika hongroise ; 2° du piment doux d'Espagne en poudre, vendu sous le nom de pimenton dans les magasins de denrées espagnoles ou italiennes.

Le poivre de Cayenne s'emploie sur la pointe d'un couteau pointu. La paprika s'emploie à la cuillère à café. Le pimenton peut, à la rigueur, s'employer à la cuillère à soupe.

Voici pour la paprika.

Passons aux oignons. Vous allez être terrifiée en lisant ma formule de goulache. Ne vous laissez pas influencer par nos habitudes françaises et n'en diminuez pas la posologie.

Et maintenant, les viandes. Goulache a le sens en hongrois de quelque chose qui pourrait se traduire par ragoût. Il existe donc des goulaches de bœuf, de veau, de porc, de poulet ou de toute autre chair.

Mais le goulache le plus répandu en Hongrie est le goulache de bœuf. Dans celui-ci entre de la viande de bœuf, mais aussi du cœur de l'animal.

Nous allons faire un goulache fort savoureux, celui dans lequel l'élément prépondérant est la queue de bœuf.

Prenez donc :

Queue de boeuf   1 kg - Cœur de bœuf  500 grs - Entrecôte  500 grs - Oignons  750 grs - Lard gras  150 grs - Couennes de lard grasses  250 grs - Piment doux 2 cuillères à soupe – Paprika 2 cuillères à café.

Choisissez la queue de bœuf dans la partie la plus épaisse Coupez-la en tronçons.

Coupez le cœur et l'entrecôte en petits morceaux cubiques de trois centimètres d'arête environ.

Épluchez et coupez les oignons très menu.

Prenez une cocotte de fonte. Dans le fond, posez un morceau de beurre pesant 50 grs environ. Ajoutez le lard coupé en très petits morceaux. Mélangez les morceaux de queue de bœuf, de cœur, de viande et de couennes. Déposez sur le lard une couche de viande. Salez très légèrement, saupoudrez copieusement de paprika et de pimenton ; couvrez avec une couche d'oignons. Alternez ensuite des couches de viande et d'oignons en salant et épiçant. Couvrez la marmite avec son couvercle. Posez sur un feu moyen. Laissez ainsi sur le feu pendant 20 minutes. Soulevez le couvercle. Un jet de vapeur parfumée vous monte aux narines. Vous voyez la viande devenir grisâtre. Mélangez alors le tout à l'aide d'une cuillère de bois. Couvrez de nouveau. Après vingt minutes, la viande baigne dans l'eau de végétation des oignons.

Laissez cuire à tout petit feu en récipient couvert pendant quatre heures encore, en ajoutant de temps en temps un petit peu d'eau chaude.

Finalement l'oignon a complètement disparu. Il est fondu. Sa saveur s'est combinée à celles du jus de viande et de la paprika. La sauce, sans être trop abondante, doit cependant l'être assez pour pouvoir imbiber les pommes de terre à l'anglaise que vous servirez en même temps que le goulache.

Parfois, en Hongrie, on sert le goulache préparé avec des viandes coupées en tout petits morceaux. Alors, on fait une sauce assez abondante pour être mangée à la cuillère comme un potage.

Servez, je vous l'ai déjà dit, le goulache, avec des pommes de terre cuites à la vapeur ou à l'anglaise.

Buvez en même temps des vins rouges un peu durs, un peu nouveaux. La saveur très relevée du goulache vous empêcherait de savourer de vieux vins. Mieux vaut les garder pour un grand plat bien français.



2 recettes extraites du livre d’Édouard de Pomiane
Vingt plats qui donnent la goutte
[Paris, 1935]

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