jeudi 10 janvier 2008

Le gas normand

NOS PROVINCIAUX : LE GAS NORMAND.

Dans l' pays, j' suis t-à la mode ; d'puis, surtout, mon retour d' Paris : toutes les filles voudraient avoir en mariage Claude, l' petit Parisien, moi, qui suis né natif de Falaise ! Ya surtout une grosse dondon, la nièce au magister, qui a d' l'inducation... c'est-à-dire qu'elle a une teinture : elle est rouge... comme un baudet... de c'te couleur-là ; et entêtée que j'ons beau lui crier (colère) : allais donc ! allais donc ! laissais-moi donc tranquille !... c'est comme une possédée, quoi ! alle sait que j'suis une jeune homme pouétique, alors alle ne me lâche jamais sans m'avoir parlé en verses. (Imitant la femme.) « Viens-t'en dessur mes genoux, mon poulot, et tu mangeras des prunaux. » Allons donc,c'est-y que vous voulez me faire allais, avec vos pruneaux ?... - « Ne sois point sourd à mon tendre amour. Viens donc, petit nigaud !... » - Allons, allons, laissais-moi tranquille ! D'abord, les filles, ont jeté un sort à ma famille... Mon grand-père, qu'était un chasseux de fille, est mort par les filles : il aura été dévoré dans queuq' bois !... Mon père, qui n' pouvait point les sentir, a pris un' femme qui lui en a donné sept ! Il est mari de chagrin, juste un an avant ma naissance, si bien qu'avec mes sept soeurs j' vas héritais d'un huitième de mon bien... Et on veut que j' les aime ! ah ! malheur !... - J'suis blasé sur les bell's femmes, j'en ons tant vu dans c'Paris ! et j' puis, sur beauroup d'ces dames, donner ici mon avis. Ell's vous ont d' la tournure, d' biaux traits et pas mal' d'attraits, des jamb's jusqu'à la ceinture... un vrai lusque de mollets ! des p'tits pieds si p'tits, morguenne ! qu' d'en parler c'est point la peine ! - Hou, le, vilaines, qu'alles sont gintilles ! (Il envoie un baiser.) Ah ! malheur ! avec des cranolines, des bouffants ... beun !... Et tout ça s' fait appeler madame, gros comme le bras ! Y en a même qui n'ont point pris le temps d'être d'moiselles!... Bath ! c'est ben comme partout, un peu mêlais... comme je l' disais dernièrement à Basile, mon cousin : Vois-tu, que j' lui disais comme ça, toutes les filles, c'est des coquines !... d'abord, je l'ai lu dans monsieur Molière, et je vas te résumer ma pensée par une comparaison : Ainsi, tu t'en vas au marchais, bien ! tu achètes un panier d' prunes, bon par-dessus c'est mignon , c'est fleuri , ben gentil, ben veloutais... Tu fouilles au fond... c est tout gâtais... et je peux t'en parler savamment, moi, car j'ons forquanté le quartier latin, et la lecture des bons ouvrages m'a formais le jugement. Ainsi, j'ai lu : le Monstre Crustophe, le Suif errant, par mossieu Eugène qui sue ; la Plus saine de Balleville, Manon l'Escroc, et puis toutes les oeuvres de lord Piron... par mossieu Poil de Coq et le Chat qui expire. Eh bien ! c'est là-dedans que j'ons appris ce que c'est que l'amour, et je vas te l'expliquer. Tout l' monde croit bêtement que c'est n'un petit bonhomme pas plus haut qu' ça, qui a une flèche... Pa, du tout.. L'amour, c'est... c'est le coeur... qui se combine et se manipule... avec la rate ; et qui, par, un mouvement simultané et... lectrique, descend, descend jusqu'au tubia, (Il le montre) là, qui remonte, qui remonte par la rotule... jusqu'à la colonne de Gibraltar (le dos). C'est le terme téchenique que nous employons dedans la médecine, et qui, par le même mouvement simultané et... lectrique, qui remonte, remonte jusqu'à losque quiputt (la tête) ; losquequiput c'est toujours le terme téchenique que nous employons dedans la médecine... Et, une fois arrivé là, voyez-vous, c'est fini ! on est toqué avant l'heure et l'on n'a plus qu'à suivre le régime des douches à froid ! et pourquoi ? pour qui ? pour qu'est ? pour... Aussi, dès c'moment, je jure de ne jamais être amoureux ; j'veux contrarier la nature, dussé-je en être malheureux. Et quand toutes ces donzelles viendront me faire les yeux doux je leur dirai : Mes demoiselles, ben l'bonsoir ! je n'veux point de vous ; bref ! j'vas contre l'incendie d'l'amour m'faire assurer pour la vie. Au moins, j'aurai une plaque d'assurance et je la porterai partout, sur mon chapeau, en guise de boucle. Ça fait qu'celles qui sauront lire iront porter leurs soupirs cheu l'voisin si ça leur convient. J'en veux point ! Si plus tard, y m' prenait fantaisie de me mariais, alors je prendrais deux ou trois femmes à l'essai... et celle qui ferait mieux mon ménage et ma soupe serait la bonne. Je l'apouserais tout d'suite. Mais, pour le moment, il n'en faut point. Coiriez-vous qu'on m'accuse d'avoir introduit la cranoline dans l'pays et qu'on voudrait me mettre sur le l'dos tous les cerceauz qui ont quitté leur tonneau pour gonfler les jupes des femmes et des filles ! ... Tout ça parce qu'elles sont toujours après moi pour apprendre la manière de s'en servir... Ah ! malheur ! (se couvrant la figure de ses mains.) Mais, mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avoir fait si joli ?... c'est dégoûtant l Enfin je ne puis pas voguer à mes affaires sans avoir à mes trousses une bande de femmes vieilles et jeunes. (Voix féminine.) Mais comment donc qu'ça se fait ? ... comment qu'ça s'met ? ... (Colère.) Allons, laissez-moi tranquille, que diable ! je ne peux pas toujours m'occuper de vos cotillons l Au fait, vous allez voir comme elles sont vicieuses pour se venger. Ça, par exemple, pour n'un jûne homme, c'est pas gentil. Tenez, je vas vons l' racontais, c'est tout un roman. (Il se recueille et raconte, avec une prétention burlesque.) C'était par une belle matinée de printemps,.. le soleil réchauffait de ses rayons vermeils l'herbe verte du vert coteau de la prairie. Moi, j'étais là, dans un avalon solitaire... comme une marguerite penchée dessus sa tige, et j'allais me livrer aux douceurs... (Geste de nager) de l'équouitation... Je me dépouillais donc de ma bure grossière et laissais voir des formes plus blanches que de l'orbatre... Je sentais le doux zéphir, qui venait caresser ma chevelure ondoyante et ma jambe vaporeuse... Je glissais donc un pied de neige e tde rose dans l'onde frissonnante et je m'élançais plus léger qu'une nymphe dans le flot frémissant et... dans le flot frémissant. J'avais fait n'un paquet de tous mes effets, et je l'avais mis dans n'un petit coin ; je croyais qu'on ne le voyait point. Voilà t'y pas que... pendant que je faisais, comme on dit vulgairement la planche, j'entends un frou-frou... Je regarde, et qu'est-ce que je vois? une bande d'filles qui m'regardaient. J'me relève, et v'là t'y pas qu'une de ces effrontées saute sur mes effets et s'en sauve avec ?... que j'ai été forcé de revenir au village dans le simple appareil de Nez de plume, sortant de Londres. J'n'avais pas même ma plaque d'assurance ! Et vous croyez que c'est gentil, ça, pour n'un jeune homme ? ah ! non ! ah ! non ! c'est pas joli ! Aussi j'veux ben, en finissant, vous d'ner un conseil : c'est d'vous défiais des filles, même les plus gentilles... Hou ! les vilaines !

D'après JULES CHOUX (18..-1874)

[Réf. : Parades, boniments, discours comiques, types drôlatiques de métiers, paysans troupiers, etc. Plaidoyers et sermons facétieux, extraits des excentricités de nos joyeux auteurs et arrangés par Etienne Ducret...- Nouvelle édition illustrée de douze dessins charges.- Paris : Le Bailly , [sd].- 144 p. : ill. en noir et en coul., couv. ill. en coul. ; 15 cm. (Bm Lx : Norm 1474)].

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